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J’ai longuement hésité avant de rendre publiques ces lignes. Certains y verront de l’impudeur, les pauvres, comme s’il y avait des luttes impudiques ! Certains, estimeront que c’est là   affaire privée qui ne les regarde pas. Un journal intime n’aurait donc de valeur que s’il est signé André Gide ou François Mauriac ? Mais, j’en ai bavé pour rester Juif, et les chemins de traverse que j’ai du prendre peuvent donner force et courage à ceux qui s’estiment rejetés. Alors je plonge, et, comme disent les jeunes, si je vous « prends le tête » j’arrêterai sans vous demander d’explications. L’histoire d’une conversion ou du refus d’un changement d’identité repose rarement sur une seule raison. C’est l’ensemble de ces petits riens qui accolés l’un à l’autre font qu’on décide de changer de camp ou de rester dans celui dans lequel on a vécu. Ci-après mes petits riens qui devaient me conduire à changer de drapeau et qui, le destin, la chance ou l’opportunité aidant,  m’ont transformé  en… Juif militant, à la stupeur déconfite  des analystes pour lesquels  ma conversion ne devait être que formalité.

 

EXTRAITS PARTIELS  DE  « Je suis né avec mes racines ! » 

J’ai failli céder aux pressions vers l’âge de seize ans

A l’âge où, pour un garçon,  témoigner du  talent de ses ambitions, c’est afficher ses trophées d’amour et de conquêtes féminines,  je guettais le ciel avec crainte,  redoutant un appel qui eût fait de moi, un disciple de St Benoît,  peut être,  de St Ignace,  probablement avec  de la chance et du courage. Il faut d’abord savoir que, pour une certaine aristocratie juive d’Alger, les « religieux » c’étaient les pauvres. C’est dire, au delà de la déjudaïsation, l’assimilation totale et sans compromis au paysage culturel français.

 Il y avait la honte « d’être juif » qu’on cachait par tous les moyens. Les fils de bonne famille étudiaient dans les meilleurs lycées et les Juifs les  plus assimilés étaient scolarisés dans les boîtes chrétiennes. St Charles, St Bonaventure et bien entendu l’illustre, la célébrissime boîte de jésuites,  Notre Dame d’Afrique qui accueillait la « fine fleur » de la bourgeoisie française.

 En m’inscrivant dans une école chrétienne, mes parents ne prirent pas la mesure de l’impact que leur démarche aurait sur moi. Ils étaient persuadés,  qu’issu d’une famille très assimilée, je n’accorderai aucune importance à l’enseignement religieux. C’est précisément le contraire qui se produisit. La première fois où j’entendis parler de l’œuvre de D.ieu, c’est par la lorgnette catholique. L’effet fut celui d’une secousse sismique. Je réclamai des bouquins au père aumônier et lisais tout, en vrac,  soulignais les passages obscurs dont je demandai le sens à la première soutane que je croisais. Mais ce qui « eut ma peau » c’est le chant grégorien que chantait en permanence un petit chœur de moines et de laïcs. J’oubliais parfois d’aller en cours. J’aimais ressentir le vide, le néant, l’écrasement du Chant grégorien, cette impression de vide absolu qui délivrait toute chose de l’importance qu’elle pouvait conserver.

 Tant et si bien que l’état major de l’école était assuré (ils me le dirent plus tard) que je solliciterai sous peu l’entrée dans les Ordres. Tout cela se déroulait avant Vatican II et les Juifs étaient toujours un peuple « déicide » « perfide » « maudit » dont il fallait se méfier. On m’assura que c’est par délicatesse qu’on me dispensait de certains cours où l’on parlerait des Juifs. Mais une fois, l’aumônier souffrant fut remplacé par un prêtre que nous n’avions jamais vu. J’en profitai pour rester en classe avec la superbe complicité de la classe. Mais je me levais et sortis au milieu du cours quand le prêtre insista sur la souffrance d’Israël qui venait en expiation des fautes. Je lui lançai avant.  « Je ne pourrai jamais m’associer à tant de haine. » Je me rappelle son air dépité. Il venait de s’apercevoir qu’il avait commis une gaffe ! Cet incident me poursuivit longtemps. Il eut l’avantage de me confirmer que je n’eus, en vérité, jamais foi en la doctrine chrétienne.

  Ma première rencontre avec la réflexion religieuse s’opéra atour du « miracle, » Je me rappelle encore l’impression très négative perçue après le premier cours sur la Résurrection. Le Chrétien m’apparut petit, sans envergure,  parce que contraint et soumis. Le grand homme c’était d’abord le Révolté, le Rebelle, Napoléon,  dont le buste régnait sur la cheminée de mon grand père maternel à Blida. Je n’ai jamais pu avoir pour l’Eglise une fascination sans réserve.

 Imaginez ma joie, quand plus tard, beaucoup plus tard, je découvris la méfiance juive pour le surnaturel. Ce fut à la fin de ce cours sur la Résurrection que je me persuadai qu’en demandant l’adhésion à un système qui renonçait à l’intelligence, l’Eglise s’exposait à perdre les meilleurs de ses fils. A cet âge,  j’ignorai qu’on peut être immense, précisément par la force du  renoncement plus que par l’objet du renoncement.

 Quand je fus irrémédiablement perdu pour l’Eglise.

 

   Un matin, durant le premier trimestre, (je ne sais plus de quelle année,)  j’eus de la chance et l’Eglise me perdit à jamais.  Le Père Supérieur me remit un prix. C’était  un livre « Fils de Rabbin, père d’Apôtre » ou la vie du père Ratisbone  qui fonda l’Ordre de Notre Dame de Sion. Quand ce livre me fut remis, devant toute l’école réunie, en présence du Cardinal Archevêque d’Alger, je savais, sous les applaudissements,  que je ne serai jamais Chrétien, mais cette fois ci, je savais  que c’était encore plus vrai, car j’avais du mal à respirer, et j’ai toujours ce même signe quand je sais et je sens que je dois bouger parce que je ne suis pas à ma place.

. Je ne serai jamais Chrétien parce que j’ai senti que « l’humiliation glorieuse » qui m’était imposée par la remise de ce livre qui disait que l’avenir du Judaïsme était la Croix, n’accordait aucune considération pour ce que j’étais et dont je me savais porteur, même si cela ne voulait pas dire grand-chose. Le pire est que cette humiliation  n’était même pas voulue. Elle allait de soi. Scandaleux ! C’est la perception de cette réalité qui me rendit curieux de la « chose juive » Elle allait me rapprocher de ceux qu’on me demandait de renier.

Je ne serai jamais Chrétien parce que la religion catholique me fut présentée comme la voie royale menant au salut et, pas une seule fois un père ne m’interrogea sur le Judaïsme que je ne connaissais d’ailleurs pas ou ne manifesta le moindre intérêt à ce sujet.

Je ne serai jamais Chrétien, parce que je ne crois pas dans l’amour qu’ils disent avoir pour les hommes. Ils en parlent trop pour que ce soit vrai. Ils  sont trop orgueilleux pour aimer. Un détail. Je me suis souvent demandé s’ils apprenaient à marcher, tant  leur démarche paraissait calculée, visait à s’imposer par un pas lourd et majestueux. D’ailleurs, cette démarche m’était devenue tellement insupportable  que, de concert, avec un copain de classe, nous attendîmes qu’un père aille aux toilettes pour lui ravir sa soutane suspendue au porte manteau. Le spectacle de cette démarche affolée, à la recherche de la soutane, qui tranchait tant avec la superbe habituelle, fut un des fou rires mémorables de mon adolescence. La Rome de César, n’est pas morte. C’est l’Eglise qui a pris sa place.

Je ne serai jamais Chrétien, parce que le modèle de l’homme, le prêtre, est privé de femme et d’enfants. Et si l’on ne construit pas sa vie, aider les autres sera acte de foi, pas acte de vie. Je ne serai jamais Chrétien, parce qu’en 6ème le crucifix immense me faisait peur. J’avais souvent mal au ventre à cette époque. Le diable fait peur, mais Lui aussi. Je me rappelle que lorsqu’on voulait stopper un fou rire,  on levait la tête et toute la misère du monde sur ce seul visage arrêtait net nos exubérantes  explosions.

Je ne serai jamais Chrétien parce que je n’aime pas la nuit et dans les églises, ce n’est que ténèbres. Je ne serai jamais Chrétien car je découvris,  accompagnant ma mère faire des courses dans le quartier arabe, des Juifs misérables qui tendaient la main. J’eus honte pour eux et cette honte devint attachement, affection. Ils n’étaient pas hautains comme l’assurait le Père aumônier.

Non vraiment je ne serai jamais Chrétien parce quelque chose de mystérieux m’attirait vers ces hommes en haillons. Le jeudi suivant, (à l’époque on n’allait pas à l’école le jeudi) je retournais seul au quartier arabe.  Voyant ces hommes sales assis à même le sol, je fus saisi d’une terrible envie,  de m’asseoir, moi aussi par terre,  avec eux  Je connaissais les conséquences. Je m’en fichais. Je voulus m’asseoir et je m’assis. Je sentais que j’allais être rejeté par ces hommes rudes et grossiers.

 Il fallait leur donner un gage. Je sortis la main de ma poche et je la tendis, comme les autres. Mon oncle, le seul  Juif pratiquant de la famille qui sortait d’une synagogue proche me fit un coup d’œil et déposa dans ma main un billet. Subitement, j’eus mal au ventre comme, quand je regardais le crucifix. Apprendre à recevoir me parut indigne,  alors qu’apprendre à donner grandit. Les Jésuites  m’avaient placé dans l’attitude de celui qui reçoit.

  Ils n’avaient pas besoin de moi,  alors qu’ils étaient devenus le centre et la périphérie de ma vie. J’eus envie d’être Juif,  pour la première fois,  en recevant ce billet. Comme si la honte et l’humiliation sont de terribles moteurs. Peu m’importait de savoir si Jésus était ou non le messie. Il fallait défendre ceux qui étaient dans le camp qu’on méprisait. Là était l’urgence. C’est alors que, tout en restant très attaché aux Pères, je partis à la recherche des Juifs.

                               FIN DE LA PRESENTATION

7 Réponses à “Une conversion impossible!”

  1. Martine dit :

    Merci pour votre témoignage de vérité … Je trouve courageux d’oser dire ouvertement votre réflexion très personnelle….. sur ce chemin …..qui fut pour vous bien difficile…. pavé de bien de douleur de rejet de souffrance d’être …Peut on vraiment choisir notre vie !!!
    Souffrance de ce vécu religieux que j’avais perçu jusqu’à deviner dans quelle religion vous vous étiez perdu ….Fuyons la religion elle n’est pas porteuse de vie …. Mieux vaut la parole seule et nos propres recherches de la vérité ….plutôt qu’une pensée religieuse ..
    La vie est longue et le chemin n’est pas encore terminé .. D.ieu à le temps pour parler …. Il ne parle jamais pour rien dire ! D.ieu est absent dans la religion .

  2. elyane dit :

    …Mais vous n’avez jamais été chrétien…tout au plus, vous avez fait un peu l’école buissonnière…vous avez cru etre « perdu »…vous étiez seulement un peu égaré…ça arrive….et d’ailleurs n’était-ce pas « le passage obligé » pour « etre » ce que vous etes aujourd’hui!!!
    l’église vous a rendu service, vous a rendu à vous meme, ici et maintenant!!!
    Alors…..La vie est belle, et votre article très fort. n’ayez donc aucun regrets, et…..longue route dans votre « famille!
    Le Haim Arnold,

    • Chère Elyane,
      Votre analyse n’est pas complètement fausse même si elle n’est pas complètement juste. Vous dîtes, toutefois, quelque chose de très juste: « l’Eglise vous a rendu service » C’est vrai, le choix devant lequel j’ai été placé, jeune adlescent, ne fut pas facile à vivre. Par ailleurs la formation reçue, qui n’avait pas d’incidence seulement sur le niveau mais prétendait renforcer le caractère, s’est avérée, du moins, pour moi, positive. je précise » pour moi  » car certains de mes condisciples furent cassés par cette façon de faire où, parfois, la discipline devenait une fin en soi.
      OK, pour la longue route, à condition de former un groupe uni et fort.
      Léhaïm Elyane
      Excellentissime semaine.

  3. elyane dit :

    Oui, je comprend ce que vous dites…car certains traumatismes ont la peau dure!!
    Vous vous en sortez plutot pas mal!!!
    OK pour un groupe uni et fort..
    et surtout essayons de ne jamais trop..douter…
    Merci Arnold d’avoir pris le temps de me répondre!
    LE HAIM!!!

  4. Marcoroz dit :

    Voilà une belle histoire, un beau témoignage ! « Je suis né avec mes racines », est-ce un livre en projet ?

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