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« Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ». Stanislas de Clermont Tonnerre, Décembre 1789.

Au cours des débats qui, de 1789 à 1791 permirent à l’Assemblée Nationale Française d’émanciper les Juifs de France, fut affirmé le principe souverain qui consacra le dualisme entre la nation juive, et l’individu juif.

Précisons qu’en ce temps, la nation juive signifiait la réunion des Juifs dans une structure sociale et communautaire, avec ses usages, ses lois, ses chefs mais restait soumise aux lois du royaume pour l’aspect fiscal et pénal. Bref, la nation était une entité séparée de la collectivité nationale.

Aussi, lorsqu’à l’époque, on évoque la nation juive, on n’y met pas le même contenu qu’aujourd’hui. Ce qu’on y dénonce surtout, c’est l’élément de rupture avec la collectivité nationale. En refusant la nation juive, ce qu’on réfute, c’est le droit à la différence.

Il y a, malgré tout, une connotation de nature religieuse, que les hommes de 1789 ne pouvaient occulter. La nation juive, maintenue en l’état, reste une réalité opaque et équivoque, héritée de la conception chrétienne.

Elle demeure potentiellement porteuse d’une promesse d’émancipation politique, inenvisageable, cependant. Elle est le reliquat d’un anti judaïsme forcené. Il y avait en 1789 plusieurs nations juives en France, qui, l’une après l’autre se sabordèrent, se transformant pour la plupart en association de bienfaisance. On voit donc, que dès l’émancipation, la France précise ses limites à la reconnaissance de la citoyenneté. La nation est déclarée indésirable, le Juif non !

De là, un cortège de fatalités perceptibles jusqu’à aujourd’hui. De là, une situation apparemment contradictoire qui s’inscrit toutefois dans une cohérence sans faille. Si les Juifs abandonnent leur spécificité, la nation, ils ont leur place dans la société française. On ne peut s’empêcher de reconnaître que le maintien de la nation juive, n’empêchait pas la loyauté et la fidélité envers cette France nouvelle, mais cette dernière par l’obligation de souscrire à la condition de suppression de la nation précisait que son objectif était la disparition du Juif afin que naisse le citoyen français !

Le génie de napoléon fut de comprendre très vite que le Juif même émancipé risquant de maintenir un ersatz de nation, et, par conséquent, d’ériger une structure officieuse, dont le contrôle échapperait à l’Etat, il était préférable, de ne pas insister sur la disparition de la nation juive mais d’organiser celle-ci sous la surveillance du gouvernement.

D’où la naissance des Consistoires. Il n’en demeure pas moins que ceux-ci sont une forme de concession à l’idéal de 89 qui voulut par la citoyenneté, transformer en baptême civil ce que l’Eglise n’était pas parvenue à réaliser sous la forme du baptême religieux.

Certes, depuis 1789, il y eut des failles dans ce rejet de la nation juive. Mais une constante cependant. Cette appréhension de la nation juive n’a pas résisté à la transposition et à la projection du danger représenté par cette Nation sur le plan…national !

Si le Président Sarkozy se déclare ami d’Israël, nous n’avons aucune raison de mettre son affirmation en doute, bien au contraire. Mais on ne peut laisser dans l’ombre l’héritage prestigieux et contraignant que représente sa volonté de s’inscrire dans le sillage du fondateur de la Vème République dont l’approche du sionisme, justification de la Nation Juive, reste pour le moins, équivoque.

En effet, lors de sa célèbre conférence de presse de 1967, le général de Gaulle reviendra à la conception orthodoxe de 1789,qui ne « voulait rien accorder aux Juifs en tant que nation » émettra de sérieuses suspicions sur la légitimité de l’Etat Juif, sans remettre en doute, même par une allusion, la loyauté, la fidélité ou le zèle des juifs Français. »Tout accorder aux Juifs en tant qu’individus ».

Clermont Tonnerre, de Gaulle, même combat ? Probablement. De gaulle sera le premier Chef d’Etat du monde libre à mettre en doute la légitimité de la Nation Juive, ouvrant là une terrible brèche dans laquelle d’autre se précipiteront.

Les mots employés ne prêtent pas à confusion….. « L’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu de peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’innombrables, d’interminables frictions et conflits. » Ces propos mettent en cause directement le droit de propriété des Juifs sur la terre d’Israël.

Puis de Gaulle expliquera les dangers inhérents à l’avènement de la nation Juive (ce que n’avait pas osé faire Clermont Tonnerre. « Certains même redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem. »

Les propos du général mettant en doute la légitimité du lien entre le peuple Juif et sa terre, ne peuvent écarter la dimension religieuse inséparable de l’identité du général. Dans son livre « de Gaulle et ses témoins » Bartillat 1999, Philippe de Saint Robert consacre tout un chapitre à « De Gaulle, l’Eglise, la religion, la foi.

On y remarquera l’attachement ardent du général de Gaulle à l’Eglise catholique, sa foi profonde la revendication confirmée de sa qualité de catholique romain et l’idée, essentiellement chrétienne qu’il avait de la vocation de la France. Aussi, les mots « peuple d’élite, sûr de lui-même, dominateur » doivent être vus dans la vision d’ensemble du général qui fut essentiellement une perspective chrétienne.

Elite, renverra à l’élection d’Israël, n’est ce pas la même racine ? Sûr de lui-même se rattachera à l’assurance qui est un des effets naturels de la mission rédemptrice et dominateur se relie à l’ambition universelle (la première dans l’histoire) de conversion du monde.

« Une fois qu’ils seraient rassemblés » Le thème du rassemblement, hantise des ennemis d’Israël depuis l’Antiquité refait surface ! Les Israéliens n’ont pas le droit de nourrir une « ambition ardente » pour leur Etat naissant. « Une ambition ardente et conquérante » Le projet sioniste ne devait-il donc s’identifier qu’à des vœux pieux et ne jamais dépasser les limites de « souhaits très émouvants ? »

On saisit le fil d’Ariane de « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation. » Que la motivation soit du type humaniste comme en 1789 avec Clermont Tonnerre ou de nature religieuse comme le montre l’attitude du général de gaulle, l’Occident refuse aux Juifs le bénéfice de l’Etat Nation, parce qu’il est dans la vocation de l’Occident de s’opposer à Israël.

Mais il n’est pas dans cette vocation de s’opposer à la conversion du Juif ! Celle-ci pouvant prendre l’allure d’une assimilation aux mœurs civiles ou à l’idéal évangélique ; l’essentiel étant de renoncer à l’idéal collectif, c’est-à-dire à la Nation Juive !

Cette cohérence d’opposition à la Nation ne put, toutefois, résister aux conséquences de la Shoah qui transforma le foyer national de Lord Balfour en… Etat Juif. Les nations doivent s’en mordre les doigts. Mais c’est trop tard. La Nation Juive est là et il faudra en tenir compte !

Notons, toutefois, que l’attitude du général de Gaulle aura une toute autre résonnance que celle de Clermont Tonnerre. Ecoutons, ce qu’en dit le grand Raymond Aron avec d’inquiétants accents prémonitoires :

« Le général de Gaulle a sciemment, volontairement ouvert une nouvelle période de l’histoire juive et peut être de l’antisémitisme. Tout redevient possible, tout recommence. Pas question certes, de persécutions ; seulement de la malveillance. Pas le temps du mépris : le temps du soupçon. » (de Gaulle, Israël et les Juifs. Plon 1968)

Le mot de Clermont Tonnerre est, plus que jamais, d’actualité !

Arnold Lagémi            terredisrael.com

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