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Je publie ce magnifique texte de Sabine Aussenac, d’abord parce qu’il est remarquablement écrit, ce qui est devenu rare ; mais surtout parce que Sabine  sait attirer notre attention sur la proximité des périls, moins par le raisonnement, facilité accordée à beaucoup,  que par, ces limbes poétiques qui parlant à notre sensibilité nous atteignent dans notre intimité, et nous conduisent à L’ACTION !Et quand bien même, nous n’agirions pas, ce texte laisse une empreinte telle qu’elle suffirait à  elle seule à en justifier la publication et la diffusion.

 Elle s’appelait Jehanne.

De :   SABINE AUSSENAC

Une blonde, toute douce.

Je m’en souviens comme si c’était hier, c’était une de mes premières élèves, en ma première année de prof. (Non, nous n’avions pas d’IUFM, nous non plus. On m’avait dit « Tiens, la clef du placard, le magnéto –à bandes, help !!-, les craies, et bon courage !!! »)

Très vite, le bruit a couru. La pauvrette, elle en rougissait. A son approche, les voix passaient en sourdine, on la regardait en chuchotant. On discutait de son cas en salle des profs …

–           Il paraît que son père est CRS.

–          Oui, je l’ai rencontré à la réunion, un beauf à la Cabu.

–          La pauvre gamine, elle avait un prénom prédestiné…

Ses camarades la défendaient.

–          C’est pas sa faute, Madame, si elle a pas fait son travail. Vous savez bien, c’est pas facile, pour elle. 

Car devinez quoi ? Le père de Jehanne…votait Le Pen.

Je vous parle d’un temps où la vie était douce, où voter FN vous stigmatisait comme aux premiers jours du SIDA, où les moustachus du Front rejoignaient les moustachus à la Freddy Mercury dans un difficile outing ; d’un temps où l’on vous regardait avec horreur et compassion, partagé entre le chagrin et la pitié. Personne, non, personne n’aurait osé revendiquer en public son appartenance au parti de JMLP, hors réunions de famille avinées et/ou soirées entre anciens de l’OAS. L’information circulait sous le manteau, alimentée par la rumeur. Voter FN, c’était vraiment la fin du monde, c’était comme avouer qu’on était fils de collabo. Voter FN, c’était le MAL. 

Et il est bien loin, aujourd’hui, ce temps des cerises. 

Car être frontiste, aujourd’hui, c’est carrément tendance. C’est, comment vous dire, jazzy, funky, à la limite du groove. Hey man, si tu veux être « cool », vas-y, come on, baby, Marine is the place to be !!!

Ils sont partout, David Vincent n’est plus le seul à les avoir vus. On a le droit, aujourd’hui, de se revendiquer ouvertement comme étant d’extrême-droite. Il y a quelques années encore, voter Le Pen, ça vous posait son homme ; la France alors de se gausser des Autrichiens et autres nazillons d’Europe, des Waldheim au passé brunâtre et des Haider à l’arrogance fière. Chez ces gens là, Monsieur, on ne se prétend pas Français : « ça » n’arriverait jamais chez nous, ce style de peste brune….

But times they are a changing. Le loden a le vent en poupe, tout comme le carré flou et la messe en latin. La CGT, le Facteur, et surtout les Dupond et Dupont du PS, eux, complètement has been, peuvent aller se rhabiller….Parce qu’à force de crier au loup, il sort du bois. Et on a tellement hurlé « Sarko-facho ! » que les véritables fachistes, en pleine conscience démocratique, en pleine confiance républicaine, préparaient tranquillement leur accession au pouvoir…

Oui, la France était dans la rue, la France faisait grève, la France militait, la France râlait. Sarkozy, c’était le MAL. 

Pendant ce temps, au cœur des villes et des campagnes, la droite extrême prenait la clef des chants. Et son tour de force aura été de supplanter la véritable droite dans l’identité nationale. Faisant feu de tout bois, un pan de burka par ci, un meurtre d’enfant par là, la droite de Marine brandit les joggeuses assassinées et les cantines hallal comme autant de bulletins de vote.

Et peu à peu, l’image du bouledogue éructant s’est effacée de nos mémoires, laissant apparaître cette néo droite hype and smart, politiquement correcte, aussi huppée qu’un dîner chez Lipp, aussi policée qu’une dorure de l’Académie.

Et puis n’oublions pas que nos partis classiques, sortis de vagues pages Facebook au PS ou d’un lip dup à l’UMP, sont des partis de vieux, au mieux de trentenaires déjà fatigués. Nos jeunes vivent avachis entre console et tablettes, l’œil rivé sur MSN, l’oreille abimée par Deezer. Un élève de terminale m’a récemment avoué ne pas savoir situer la Suisse-« c’est vers la Roumanie, non, Madame ? ». Alors la Libye, vous pensez…C’est sûr que ce n’est pas dans le 93 qu’on irait se twitter des rassemblements politiques…Et je n’ose même pas imaginer la panique si une catastrophe de l’ampleur de celle qui s’abat sur le Japon frappait notre pays. Là aussi, mes élèves m’ont sidérée : « On s’en fiche, Madame, puisque c’est pas chez nous ! «  Une autre : « Moi, ça me plairait bien, d’assister à la fin du monde… »

Non, les rares jeunes engagés, hélas, font partie de la garde rapprochée de la nouvelle diva des cantons. 

Oui, elle s’appelait Jehanne. C’était au début des années 80. Elle avait honte, parce que son papa votait Le Pen.

Aujourd’hui, 22 mars 2011, je suis sûre que de nombreuses adolescentes sont arrivées au lycée la tête haute : leur papa ou leur maman venait d’avoir la certitude qu’il ou elle serait au second tour des Cantonales. Sous les couleurs du FN.

L’étape suivante ? Ce sera lorsque « elle » sera au pouvoir, et qu’ « elle » interdira certains partis.

Réveillez-vous ! Ne pas réagir, c’est le MAL ! 

Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas communiste
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas syndicaliste
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas juif
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n’ai rien dit.
je n’étais pas catholique
Et, puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait plus personne pour protester.
 

Pasteur Martin Niemöller.

Une Réponse à “Elle s’appelait Jehanne de Sabine AUSSENAC”

  1. Aussenac dit :

    Todah, Altesse.

    C’est trop d’honneur de m’envoyer ce bouquet. Et merci surtout d’avoir publié ce petit texte, qui avait fait la « une » du « Post » et déclenché quelques querelles. Oui, nous nous devons de réagir…

    Je me demande si « Jehanne » lira un jour ces lignes et se reconnaîtra…

    Bravo pour toutes les réflexions des différents articles de votre blog. Je le diffuse à mon tour.

    Le premier à l’Académie invite l’autre chez Lipp.

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