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Arnold Lagémi a tenu à me faire part personnellement de la succession des événements qui ont mené à la publication de son blog intitulée

LES INTERDITS CHABBATIQUES, révocables par exception? irrévocables par vocation?

Il ne recherchait pas auprès de moi – c’est en tout cas ainsi que je l’ai perçu – un aval a posteriori de son action, ni moins encore une justification.

C’était comme si, l’émotion bien qu’encore présente s’étant quelque peu apaisée, il fallait qu’une oreille attentive puisse entendre ce qui restait néanmoins le discours intérieur d’une conscience s’interrogeant sur elle-même.

Ce que je lui ai dit ne regarde que lui et moi.

Mais ce que je veux rapporter ici, c’est la réflexion que cet entretien m’a suggérée.

 

La Thora en tant que Loi et en tant que charte d’identité de ceux à qui elle s’adresse en se révélant suppose donc un interlocuteur préparé à la recevoir. Cet interlocuteur n’est pas un individu parvenu en haut de l’échelle des valeurs et dont le mérite lui vaudrait le bénéfice d’une illumination. C’est un peuple composé d’esclaves à peine sortis d’Égypte et dont aussi bien le texte de la Thora que l’enseignement de la Tradition nous disent qu’il était arrivé à un tel degré de déliquescence qu’il était devenu urgent de la sauver sous peine de risque de disparition.

Ce qui signifie pour nous que c’était un peuple qui n’avait aucun mérite du point de vue des actes des personnes individuelles mais qui était en tant que collectivité doué d’une dimension d’identité morale qui le rendait soucieux de la réponse à la seule question qui intéresse la conscience morale : que faut-il faire ?

Autrement dit, et il est important et même capital de le savoir, la Thora est incapable de rendre moral quelqu’un qui ne l’est pas.

Un tel homme serait susceptible, pour reprendre l’expression de Nahmanide, d’être  » un salaud avec la permission de la Thora « .

Le propos de la Thora c’est de répondre à celui qui s’interroge :  » Je veux le bien, mais quel est le bien, quel est le mal ? « , et de lui dire :  » voici la vie et le bien et voici la mort et le mal ; tu choisiras la vie.  »

 

Tout ce préambule pour dire que c’est à chaque fois la conscience morale tout entière qui est supposée s’investir dans l’accomplissement de chaque mitzva. Que c’est par cet investissement et par cet accomplissement que l’individu fait de soi-même une personne digne, sur ce point, de faire partie de la collectivité d’Israël au travers de qui l’ordre, la mitzvaen tant qu’impératif, lui est parvenu.

Chacun d’entre nous, à chaque fois, pour chaquemitzva, parvient plus ou moins bien à faire que l’accomplissement de l’acte soit non seulement obéissance formelle au commandement d’un supérieur, mais aussi et surtout adhésion de la volonté à la Volonté divine. Que l’accomplissement de l’acte comporte la conscience du fait que ce n’est qu’au travers des actes des hommes que Dieu Se permet, si l’on ose dire, d’infléchir l’histoire des hommes pour réaliser le projet qui est le Sien et en vue duquel ce monde fut créé. Cette adhésion et cette conscience et cette volonté s’appellent ensemble dans le vocabulaire traditionnel  » lichma « .

Lorsque l’acte a été accompli, mais sans que l’homme ait été au sens qui vient d’être défini présent à lui-même dans son geste, cela s’appelle dans le langage traditionnel  » lo lichma « , c’est-à-dire la négation dulichma. Cela inclut aussi l’effectuation du commandement dans son propre intérêt, par crainte ou dans l’espoir d’une récompense.

 

C’est là, dans ma réflexion, qu’intervient un principe talmudique faisant l’objet d’un développement deux fois répété, dans le traité Nazir et dans le traité Horayot, et qui réduit à son expression fondamentale s’énonce ainsi :  » Une transgression lichma a plus de valeur qu’une mitzva accomplie lo lichma « . Le moins qu’on puisse dire c’est d’abord que le Talmud n’a pas froid aux yeux. Voilà une phrase que les bien-pensants auraient certainement voulu censurer, cacher, réserver à je ne sais quel héros de je ne sais quelle religiosité peureuse.

Elle signifie qu’il existe des situations où l’on se trouve à une « croisée des chemins » et où l’on se détermine non en fonction de la Loi telle qu’elle a été formulée une fois pour toutes mais en fonction des principes qui ont conduit à la formulation de la Loi. Non que ce soit au terme de raisonnements théologiques plus ou moins tortueux. Non. C’est spontanément que l’on engage tout son être dans une conduite exceptionnelle dictée non par le désir de transgresser mais par le sentiment intuitif mais absolu du devoir.

 

Je dois dire tout de suite qu’aucun enseignement ne l’autorise a priori. Le simple fait, par exemple, de poser la question à une autorité quelconque invaliderait la légitimité même de la tentative. Spontanéité ne signifie pas que l’acte soit irréfléchi. Au contraire, il est accompli sciemment, en connaissance de cause, mais dicté non par l’obéissance à une Loi formelle mais par la cohérence même qui donne sens à cette Loi. Qu’on ne cherche pas ici à opposer l’esprit à la lettre. Ce serait d’abord malséant. Mais ce serait aussi faux et dans la lettre et dans l’esprit. Car ce principe, c’est dans la lettre de la Thora, de la Bible, telle qu’elle nous est racontée qu’elle trouve d’abord son expression. C’est la conduite de certains et de certaines (Tamar, Zimri, Pinhas, Yael et tant d’autres) et la conséquence de cette conduite qui fonde le principe dont le Talmud se fait l’écho. Une faute commise par devoir possède une dignité morale supérieure à celle d’un bienfait réalisé par intérêt !

 

Que personne ne cherche à trouver dans ces lignes un aval quelconque donné a posteriori au geste d’Arnold Lagémi.

Mais que chacun se dise qu’il ne peut pas non plus se hâter de le condamner.

 

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