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D’abord, c’est en même temps que je l’appris. « Français et Juif. » Et apprendre qu’on est « étranger » et, en même temps descendant de… gaulois, suscite question et inquiétude.

Mes premières interrogations identitaires furent de comparer mes photos avec les visages d’Astérix et Cie.

Puis ce fut le jour de la grande révélation. C’était à Pourim. A Alger. Les Juifs avaient l’habitude de faire « la petite table » où l’on y déposait tous les gâteaux de la fête. Je devais avoir neuf ans. A la récréation, ce fut la panique. Personne ne savait de quoi je parlais quand j’évoquais la « petite table. »

Je compris là très simplement ce que les philosophes m’expliqueront de façon plus obscure : Mon copain Gérard de Mondorcy ne sera jamais mon vrai ami : Hier soir, il n’avait pas dansé autour de la « petite table ! »

Et pourtant je savais qu’il était quand même ce que j’étais aussi. C’est la première fois que je me doutais que j’étais et resterai Français. La certitude vint plus tard.

Je compris très vite que deux contraires pouvaient « ne pas se faire la gueule » et même faire de grandes choses ensemble. Le 14 Juillet, j’accompagnais, depuis toujours, mon grand-père à la Tribune Officielle. J’étais fier des médailles multicolores qu’il portait sur la poitrine, et encore plus fier, quand le gendarme se mettait au garde à vous avant de nous accompagner. Colonel dans les Tirailleurs Algériens. Blessé en 1916, décoré sur le champ de bataille par le maréchal Joffre. Ce n’était pas rien !

Et puis, un autre 14 Juillet, c’était la fête dehors, et mon grand père, n’avait pas mis son beau costume.

Il n’était pas coiffé, ne parlait pas. « Papé » lui criais je, « nous allons être en retard ! » Et avec ce merveilleux sourire qui me réjouit aujourd’hui encore, il murmura : « Nous n’irons pas à la fête » Et se tournant vers ma grand-mère : « explique lui, Ticha Béav ! »

Après la « petite table » et « Ticha Béav » Je sus que j’aurais toujours quelque chose à montrer à certains et à dissimuler à d’autres. Mais, ne pas gravir les gradins de la tribune officielle, les poches pleines de pétards que je ferais péter, après la cérémonie officielle, avec mon copain Gérard, autour des tombes du vieux cimetière, me convainquirent assez tôt que le prix à payer pour garder le derrière assis sur deux chaises, serait une entreprise périlleuse. Parce que je savais que si mon grand père ne mangeait ni ne buvait ce jour là, ce devait être aussi important que ce qui se passa le 14 Juillet 1789.

C’est durant ce jour de Ticha Béav où je devais avoir neuf ou dix ans, je sus que j’étais différent de mon copain et le resterai.

Je resterai donc Juif et Français, pour ces seules raisons. Désolé pour ceux qui s’attendaient à des raisonnements historiques ou des arguments fondés sur l’histoire des civilisations. Non, le parler vrai rejette ces fadaises. J’aime l’enfant qui est encore à moi, et qui ressurgit aux accents de cette Marseillaise, que j’entendais de cette tribune quand je voyais mon grand père étirer son vieux corps malade, avec sur le visage cette injonction impérative m’invitant au garde à vous ! Je ne comprenais rien mais je savais qu’au-delà de cette musique, il devait y avoir quelque chose d’immense, que je ne compris que bien plus tard.

Je resterai Juif et Français, parce que, quand arrive Ticha béav, j’ai le souvenir, d’une maison qui débordait de cris d’enfants et, ce jour là,elle était plongée dans les ténèbres et le silence. Et cette maison est ancrée en moi comme la racine chenue du lierre qui en recouvrait les murs de la vieille bâtisse. Cet enfant à qui on apprit que ce jour là, il ne fallait pas manger, a senti que cette maison jouerait un rôle essentiel dans sa vie, que c’était un endroit initiatique, son port d’attache qui le reliait à quelque chose d’aussi important que cette plaque étoilée de Commandeur de la Légion d’Honneur, que son grand père sortait de son écrin avec les mêmes gestes d’affection et de respect, qu’il accomplissait en sortant son talith de son sac de velours rouge , mais, une seule fois dans l’année. Pourquoi ? Et pourquoi à Ticha Béav ?

Je l’ignore. Et vous assure, qu’aujourd’hui, grand père devenu, c’est rarement en ouvrant mes livres, que je rencontre mes certitudes qui feront que je resterai, jusqu’au dernier jour, Juif et Français. C’est en me rappelant l’enfant insolent et rebelle qui eut la chance d’avoir un grand père Juif et Français qui ne s’est jamais demandé, du moins en ma présence, si le Juif l’emportait sur le Français ou l’inverse, mais qui fronçait les sourcils quand ma mère ne m’avait pas habillé de mes plus beaux vêtements pour l’accompagner commémorer le jour où la France proclama que tous « les hommes naissent libres et égaux » ou pour marcher à ses côtés à Ticha Béav, où les Juifs marchaient, tête baissée.

Mon grand père y tenait à ce que je marche, la tête inclinée parce que ce jour-là ,me dit-il le monde avait perdu la torche qui éclairait sa route ! Est-ce la raison qui explique que seul Ticha béav avait de l’importance pour lui ? Je l’ignore aussi. Mais une fois, il leva le ton, parlant à mon père et lança : « Il faut savoir ce qu’on a perdu pour vouloir le retrouver ! » Sioniste avant l’heure, le papé, peut être !

14 Juillet, Ticha Béav,et…Papé, trois raisons majeures, pour moi, d’être et de rester juif et Français !!!

Arnold Lagémi           www.terredisrael.com

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