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Arnold Lagémi     (www.terredisraël.com)

A quelques jours de l’anniversaire de la Déclaration Balfour, il m’est apparu opportun d’en souligner un aspect qui, curieusement semble avoir échappé à la plupart des historiens et commentateurs.

En effet, nous avons échappé, par le martyr de la Shoah, à une appellation tronquée de la réalité nationale israélienne qui aurait été imputable à cette initiative de Lord Balfour. Selon cette Déclaration, le pays des Juifs aurait du être nommé Foyer National d’Israël, ou Foyer National Juif ou par toute autre dénomination, hormis celle d’Etat d’Israël.

Pourquoi ?

Parce que telle était la volonté implicite des nations lorsqu’elles accueillirent avec bienveillance, en 1917, le contenu de la lettre de Sir Balfour, Secrétaire Britannique aux Colonies adressée au baron James de Rothschild :

Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif.

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Un « Foyer National pour le peuple Juif, » pas un Etat Juif !

On l’aura compris. Ce n’est pas une question liée au choix des mots qui est posée mais un projet de nature politico religieuse qui se cache derrière le nom que portera le lieu où se rassembleront les Juifs de retour chez eux.

Il eût été, dans l’ordre des choses, que Lord Balfour, utilisât pour désigner l’aboutissement de ce projet, les termes par lesquels Théodore Herzl nommait lui-même son projet « l’Etat Juif » dont le livre qui portait le même nom fut publié en février 1896. La notion d’Etat Juif n’était pas nouvelle et avait déjà circulé depuis le premier Congrès Sioniste de 1897.

Mais cela eût été en contradiction, semble t-il, avec l’idée que le monde se faisait du retour des Juifs. Balfour lui préféra les termes de « foyer national » qui concerne une réalité plus souple, modelable, modifiable, perspective dont ne manquera pas d’user l’Angleterre. Par ailleurs, la définition de « foyer national » n’ayant aucun précédent, sera laissée à la seule appréciation anglaise.

La référence à l’Etat eût concerné une toute autre réalité qu’on ne semblait pas disposé à accepter. Elle signifiait l’autonomie juive que sous tend la notion d’Etat. Et on n’était pas prêt à tant concéder aux Juifs.

Le sera t-on jamais d’ailleurs, à moins que les circonstances n’y obligent ? Et ce fut le cas.

La déclaration Balfour est un document qui situe à sa vraie dimension la place que l’Occident réservait à l’éventuelle réalisation du projet sioniste. Il est singulier qu’aucune mention n’y précise la légitimité du droit des Juifs à rentrer chez eux ainsi qu’à recouvrer leurs droits sur la terre dont ils ont été arrachés. Il n’est, pas moins curieux, que l’Angleterre, puissance mandataire des possessions ottomanes disposât de la Palestine, qui en faisait partie, comme si elle en était maîtresse.

Tout se passe comme si l’Angleterre n’était pas la puissance mandataire mais la légitime détentrice du droit de propriété de la terre de Palestine et qu’elle l’offrait aux Juifs avec pour mission de n’en faire qu’un foyer. Bref, ce document établit la nature d’une aumône et en fixe, malgré tout, les limites d’utilisation.

Le texte évoque le « regard favorable » que le gouvernement britannique porterait à la création d’un « foyer national pour le peuple juif » dans l’ancienne province ottomane. L’aspect réducteur qu’implique le terme de foyer invite à ne prévoir le retour des Juifs que dans le cadre exclusif d’un home ; son aspect national, resterait secondaire, accessoire !

Qu’est ce qu’un foyer national ?

Question difficile sur laquelle les manuels de Droit Public restent muets. Nulle part il n’est entendu que ce foyer national jouirait de l’Indépendance politique et qu’il serait un Etat souverain. Le cours des choses, bien plus que la volonté des hommes, qui releva pourtant de l’exception, déterminera la nature et le cours de l’histoire du peuple juif durant ces moments décisifs.

Un Etat est une réalité souveraine qu’on ne supprime pas d’une signature. C’est cela précisément dont les nations ne voulaient pas pour les Juifs. Or, le 17 mai 1939, le 3èm livre blanc annula définitivement les dispositions prévues par la Déclaration Balfour.

L’histoire se déroula, comme si, pour des raisons autant impérieuses qu’imprévues, les Nations furent obligées de modifier leur projet initial en renonçant au foyer national pour l’Etat Juif. Et ces raisons furent liées à l’épouvantable découverte de l’enfer concentrationnaire dont la responsabilité interpela tous les pays d’Occident. La conscience de la tragédie imposait un geste. On supprima « foyer National Juif » L’Etat d’Israël balbutiait enfin les premiers appels à la vie !

Nulle part, l’histoire de l’humanité n’a connu d’expérience similaire où un peuple est invité à désigner son pays, non par son nom mais par sa fonction ; en l’occurrence, celle, humiliante d’un « foyer national. » Imagine t-on la France s’appeler Foyer National Français ? Foyer ou home renvoient à de nombreuses réalités sauf à celles désignant un Etat, où s’exerce une politique, une justice, etc….

Il est manifeste qu’en désignant ainsi le territoire d’accueil des Juifs, l’emploi de « national » pourra faire croire à la renaissance de la Nation mais le terme de foyer viendra très vite en restreindre la dimension, le projet et l’ambition nourrie à son égard. Enfin l’expression foyer national n’ayant été employée qu’une seule fois dans l’histoire, me semble t-il, et seulement pour évoquer l’aboutissement du projet sioniste, c’est là l’indication que c’est ce projet précisément qui suscite la réserve.

Mais en quoi ?

L’appréhension séculaire de la restauration juive doit être comprise dans cette restriction prudente mais essentielle. Lord Balfour (Chrétien très engagé) entend marquer les conditions imposées à la fin de l’Exil des Juifs. Des intérêts économiques sont à prendre aussi en considération dans cette volonté de « foyer national »

L’Exil prendra donc fin par l’octroi de la Grande Bretagne à Israël d’un foyer national en Palestine. Les Juifs rentrent chez eux grâce à l’aumône du monde et, leur fière Nation est réduite à n’être qu’un foyer ! On limite ainsi le traumatisme que ne manquera pas de causer le « foyer national »dans les milieux de droite et d’extrême droite.

Le projet de Balfour se limitera donc aux dimensions d’une communauté quasi familiale, indiquant par là que n’est pas prévue la création d’une nation au sens généralement défini par le droit international. On sent bien que les réserves dissimulent mal, la crainte, l’appréhension.

L’agrément à ce retour s’apparentera donc à une gratification, à une libéralité consentie aux Juifs. Il est l’effet de la bienveillance du gouvernement de Sa Majesté et ne s’identifie pas à la reconnaissance d’une spoliation que complèterait l’obligation de réparation.

Dans la résolution 181 du 27/11/1947 proclamant le partage, les mots « foyer national pour le peuple Juif » disparaissent et, pour la première fois, les mots espérés d’un côté et redoutés de l’autre « Etat Juif »les remplacent. Entre la déclaration Balfour et la proclamation du partage, Auschwitz a modifié l’intention des Nations. Cette tragédie planétaire n’a pas seulement changé la face du monde ; elle a redonné son nom au peuple Juif.

D’aucuns estimeront que c’est cher payé. La mauvaise conscience pour les crimes perpétrés dans le silence du monde hâtera le processus de réparation et l’on n’osera plus faire référence à un foyer, conscients que la souffrance et les tourments endurés valaient bien un Etat, même si l’on savait que celui-ci resterait précaire, par l’environnement hostile d’une part et par la dépendance économique envers l’Occident, d’autre part

Ce n’est pas le rétablissement du Peuple sur sa terre que Balfour et Cie projetaient mais la transplantation des communautés juives sur la terre de Palestine rassemblées en ghetto national sous le contrôle des nations.

Le Destin, la tragédie et les Juifs en décideront autrement !

On souhaita imposer la structure bâtarde d’un foyer national et, le malheur aidant, on ne put empêcher le rétablissement de la Nation Judéenne.

Les diverses difficultés et la haine que rencontre Israël aujourd’hui semblent indiquer que les Nations regrettent de ne pas avoir insisté pour que jamais le « foyer national pour le peuple juif » ne se transforme en Etat Juif. Mais il est trop tard !

A l’heure où de nombreux débats s’engagent ici où là sur la réalité du danger antisémite en France et en Europe, la réticence des nations à appeler comme il se doit le Retour des Juifs sur leur terre, doit être considérée comme la manifestation de séquelles antisémites confirmant la valeur patrimoniale de ce fléau en Occident. Un mal d’une telle ampleur ne saurait cesser et une rémission du mal exposerait à de cruelles désillusions si elle était confondue avec une éradication.

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