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 Charles d’Alger a eu la lumineuse idée d’évoquer la mémoire de Pierre Boutang, heureuse initiative à laquelle j’ajoute ma modeste contribution, pour des raisons précises et spécifiques, liées, entre autres,  à l’intérêt de ce grand philosophe pour la cause sioniste. De façon déterminée,  Pierre Boutang libère son œuvre des contingences de son temps pour rejoindre l’espace restreint de celles et ceux que les hommes appellent génies, parce qu’ils sont parvenus à cette résultante espérés par tous mais obtenus par eux seuls : entendre les hommes de toute culture et répondre aux hommes de tout temps.

 Précisément, une partie non négligeable de l’œuvre de Pierre Boutang éclaire  particulièrement la problématique d’Israël face à l’Occident Chrétien et au conflit israélo arabe des étincelles du génie qu’il fut et que j’ai l’ambition de démontrer à partir d’un point de son œuvre immense. 

Tout d’abord et pour l’anecdote, significative cependant,  l’illustre Wladimir Jankélévitz le distingua très vite et Emmanuel Lévinas à qui il succéda en 1976 pour l’enseignement de la métaphysique, le considérait comme un Maître. Car il fut un Maître dans le sens où il ne se limita pas à enseigner mais aussi  à conduire.

Le parcours et les étapes de cet aristocrate de l’esprit échappent à tout classement. Catholique, nationaliste, voire royaliste, autant d’attributs qui,  chez le médiocre conduisent au dépotoir de l’antisémitisme, menèrent, entre autres, et tout au contraire Pierre Boutang sur la voie d’une inconditionnalité au sionisme. Ce sentiment très fort éprouvé  à la naissance ainsi qu’à la survie de l’Etat Juif n’est pas le fruit d’une sympathie, quand bien même elle existait,   mais la conséquence du constat de faillite qu’il établit de la civilisation européenne et plus particulièrement de la chrétienté, reliées chacune pour ce  qui la concerne à Israël par des liens spécifiques, disons, de données humanistes et progressistes pour la première et d’une rivalité théologique pour la seconde avec des connotations originales et singulières comme on va le voir.   Les causes de l’engagement sioniste de Pierre Boutang n’ayant, par ailleurs  ni évolué ni varié depuis l’établissement du constat  qu’il dressa, on en déduira, pour notre temps,  qu’en raison notamment, d’un antisionisme débordant,    Pierre Boutang a un message à faire passer aux hommes, voire aux gouvernants actuels. Mais attardons-nous, encore un court instant sur ses motivations pro-israéliennes. 

Tout d’abord, il estimait que la deuxième guerre mondiale avait mis un terme à la suprématie chrétienne de la civilisation Européenne et jugeait qu’outre l’anéantissement du nazisme, la seule victoire du conflit mondial fut la naissance d’Israël. Pour ce Catholique fervent, il eût été tragique que la déchéance de la chrétienté ne s’accompagnât pas d’une stratégie de rattrapage. 

 Pierre Boutang, pensait que « l’Election » d’Israël » n’était pas acquise à priori mais pouvait être remise en question si le mérite ne la justifiait plus. Dans cet ordre d’idées, il pensait que le verus Israël, ou théorie de la substitution  était toujours légitime,  que ce privilège revenait à l’Eglise, (n’oublions pas que c’est un catholique fervent qui s’exprime)  mais que  l’échec de la chrétienté en Europe après le cataclysme de la deuxième guerre mondiale tout en disqualifiant le Christianisme « restituait à Israël sa charge originelle. » En apportant soutien et assistance au jeune Etat Juif, on s’associe, de facto, au nouveau porteur de la Promesse.  Point de vue singulier,  puisque nous sommes toujours dans le verus Israël, mais dans la perspective…contraire ! C’était l’Eglise, le vrai Israël, mais celle-ci n’ayant su conserver ce privilège le restitue  à Israël qui en fut le premier dépositaire. 

L’originalité de la thèse, c’est qu’elle introduit entre L’Eglise et Israël une compétition dans l’ordre de la moralité. C’est le méritant qui devient le vrai Israël. C’est probablement là, la base du dialogue théologique authentique entre Juifs et Chrétiens et non les mièvreries hypocrites dont on nous berce depuis Vatican II. En soutenant le sionisme, on va dans « le sens de l’histoire » voulue par la Providence. 

 S’en suivit toute une vision du monde, où Israël restait le centre en raison de sa mission rédemptrice universelle. Puis, intervient son jugement politique, toujours fondé. Il écrira en 1967 : 

 « La raison d’être de la Nation Arabe, c’est la destruction d’Israël. » 

 Ou : Je crois que Jérusalem […] ne peut qu’être confiée à la garde de l’État et du soldat juifs. La décadence et les crimes de notre Europe anciennement chrétienne ont conduit à ce châtiment mystérieux […] : nous Chrétiens, en un sens, avec nos nations cruellement renégates, avons pris le rang des Juifs de la diaspora […] 

(Les Provinciales. La politique de Pierre Boutang vis-à-vis d’Israël dans la « Nation Française »  1967) 

Et Pierre Boutang avec un sens prémonitoire, plutôt troublant, écrira lors de la célébration du dixième anniversaire du Traité de Rome :   « Rien, absolument rien, ne permet de dire qu’au cours de cette décennie, l’homme “européen” aura fondé ou esquissé un avenir, qu’il aura mieux compris sa destinée. Il y a même de fortes raisons pour supposer le contraire. Et la première, la plus tragique, risque d’être l’attitude de l’« homo europæus » en face d’Israël et de la menace d’aujourd’hui. » L’ « homme d’Europe » a, semble-t-il, choisi son camp !!! 

Le point que je souhaitais mettre en évidence, c’est la centralité d’Israël, dans une partie importante de l’œuvre de Pierre Boutang, consécutive à l’échec de la chrétienté. Dans cette vision de l’histoire,  la chrétienté serait disqualifiée, et ce qui en resterait, serait le témoin de sa gloire révolue. 

Singulière œuvre de Justice en faveur  d’Israël accomplie par un philosophe…Chrétien ! 

  Bien évidemment, les points soulevés pour essentiels qu’ils soient n’en restent pas exclusifs pour autant de l’œuvre du grand penseur. Le génie de Pierre Boutang fut polyvalent et la lecture ou la relecture de son œuvre s’impose tant aux hommes et femmes de pouvoir qu’à celles et ceux qui apprécient que la lecture des grands textes les sortent, même brutalement,  de leur léthargie.  

Encore merci à Charles d’Alger d’en avoir rappelé  l’urgence.

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